19 de agosto de 2012

Air De Sonate


AIR DE SONATE
Eléments Fondamentaux – De l’Air
Alejandro Luque (2010)


Presto agitato
Avec nos membranes épuisées de tant de réabsorption, nous commençâmes à ramer le cours de l’océan silencieux et agitato. Pianissimo, comme ça se fait d’habitude à ce tempo marcato et à contrepoint qui suit la première rencontre, nous fîmes semblant de dormir largo ma non troppo tel des guerriers. Mais tous les deux nous savions, dos à dos, que c’était un nouveau coda, simplement celui da capo de la nuit blanche qui nous attendait. Je ne sais pas à quelle heure j’écoutai ta respiration se perdre ad libitum tandis que je sentais mon sommeil se déployer in crescendo e cuasi non legato.

Adagio molto e sostenutto
Le matin un mouvement senza pedale me réveilla. À quatre pattes et à quelques pas du lit, comme cachée, legatissimo, tu cherchais les vêtements que je t’avais arrachés la nuit con fuoco. Tu me demandas pardon et je m’excusai a tempo. Le café fortissimo pour toi et doux pour moi, nous sépara cordialement et sans pitié. Complices de notre incapacité de se traiter con cuore, nous laissions déjà notre potentialité se dissiper avec un air gracioso e sempre stacatto. Durant la journée chacun défendra senza sordina son mensonge de l’inaliénable indépendance. Oui, nous n’avions pas encore terminé de nous connaître que nous nous abandonnions déjà avec un désir poco ritenuto et bien déguisé.

Allegro vivace
A l’entrée de l’appartement nous dessinâmes a cappella la bifurcation de la séparation imminente. Dos à dos il a du retentir cet « à la prochaine » à sottovoce, parce au même temps nous nous retournions pour nous regarder. Un sourire vivace e guisto éclata en duo. A ce moment la ville et ses misères, la notre et les nôtres, nous semblaient un jeu bien trop stupide et ostinato pour continuer à le jouer. Je ne me souviens pas si c’est moi qui proposai de retourner sur nos pas pour nous valider con brio, ou si c’était toi qui nous arrachas du trottoir con forza. Je sais juste que nous sommes retournés dans l’appartement et que depuis cette matinée nous vivons poco a poco accelerando sino alla fine.


Traduction de l’espagnol : Aline Benchemhoun
Elementos básicos : ISBM 9789870243991

15 de agosto de 2012

Marko et Tanja


MARKO  ET  TANJA
Eléments Fondamentaux - Du Feu
Alejandro Luque (2010)


Marko et Tanja se rencontrèrent dans une caravane lors d’une échappée nocturne, pendant l’une de ces nombreuses guerres anthropophages qui rongeaient l’ancienne Yougoslavie. Marko remorquait avec une corde un camion Dunlop sans roues. Il suivait avec soin les pas de son père, qui chargeait un matelas et différents ustensiles, tel une mule qu’il n’avait pas. Tanja et sa poupée voyageaient dans un charriot de supermarché, assises sur la montagne d’affaires qui habitaient sa maison. Une vielle femme ridée prématurément poussait le chariot, sa mère.
Il pleuvait du plomb. L’air avait une odeur de viande brûlée, de sulfure de violence décharnée. Marko s’approcha et offrit à Tanja, de manière docile et déterminée, le coffre du camion pour emmener sa poupée. Tanja décida de descendre de sa montagne ambulante et accepta l’invitation. A ce moment là, un vent inespéré balaya les odeurs nauséabondes et laissa place à un ciel étoilé. Ensemble, ils s’arrêtèrent pour observer ce spectacle qu’ils n’oublieront jamais.
La vie d’immigrés fit que leurs parents s’installèrent dans le même camp de réfugiés. Avec le temps et les migrations les enfants devinrent inséparables et adolescents. A cette époque ils se promirent l’éternité. Et quand ils parlaient de l’éternité, ils cherchaient le ciel dégagé et savouraient  les étoiles qui étaient toujours, selon eux, à leur place. Toutes les deux saisons le pays s’atomisait encore plus, et l’intolérance du gouvernement de tour anéantissait les corps et les convictions. Marko et Tanja commençaient à connaitre les recoins de leurs peaux et à vivre sans s’enfermer leurs convictions.
Ce fut à cette époque que Blivic, propriétaire d’un cirque itinérant du Nord, leur proposa de le suivre et les embaucha pour s’occuper de deux éléphants anorexiques et un lion albinos et édenté. Avec le temps et le parcours, Marko devint le protagoniste du numéro de l’homme-canon. Tanja, déployant sa beauté si mystérieuse des Balkans, commença à accompagner le magicien Uridiel, le mystique derviche exilé de l’Arménie épuisée aussi par d’autres conflits.
Les dernières années ils vécurent leur amour dans une vielle caravane qui était installée près de la tente des éléphants. Avant chaque fonction, Marko vérifiait le dispositif  de la navette et les harnais, et s’assurait que les feux d’artifice étaient placés correctement. De son côté, Tanja révisait avec Uridiel les mouvements inextricables dans la caisse noire d’où elle disparaissait chaque soir face à la stupeur du public.
De l’une des capitales du puzzle politique arrivèrent un jour des informations de nouvelles razzias destructives. Uridiel annonça sa fuite vers l’ouest et Blivic anticipa un changement de carrière. Pendant la dernière représentation, un vendredi soir, ciel dégagé, Tanja entra dans le coffre, Uridiel fit ses tours de magie…et elle disparut. Personne ne remarqua le visage préoccupé du magicien, qui devait improviser une fin sommaire à son numéro. Peu de temps après, Marko sortit, expulsé du canon vers les étoiles. Il y eut comme toujours, un chœur d’applaudissements et de rires, tandis que les deux clowns et le nain retiraient perplexes de la scène le canon encore fumant.
Blivic longea l’Adriatique et ouvrit un théâtre de marionnette à Athènes. Il céda son cirque à un marchand turc qui le transforma en une buvette mobile, et dit avoir vendu les bêtes pour des raisons prophylactiques. Les animaux auraient sans doute donné une autre version. Uridiel atteignit la mort promise dans une déviation qui le conduisit directement à la frontière arménienne. Tandis que Marko et Tanja… continuent cachés derrière les étoiles.

Traduction : Aline Benchemhoun
Elementos básicos : ISBM 9789870243991 

8 de agosto de 2012

Dilués


DILUÉS
Eléments Fondamentaux - De l'Eau
Alejandro Luque (2010)

La première pluie torrentielle de juin s’était déchargée sur la ville, et dans cette impasse perdue près de la rive, personne n’entendit le coup de feu ni le cri de douleur.
Ses yeux s’ouvrirent d’abord dans l’immensité de l’aube avec un étonnement néanmoins attendu. Puis ils sortirent de leur orbite en cherchant un brin de lueur. Des pieds improvisèrent une course écervelée que le rideau d’eau engloutit quelques mètres après. Les mains tentèrent en vain de soutenir le ventre violenté pendant que le corps s’effondrait juste à côté de l’égout. Il n’y eut pas le temps de l’interroger que son regard se figea pour toujours. Comme un lavage inclément et incontrôlable, le sang qui jaillissait de l’orifice mortel de la blessure se dilua avec l’eau, et le mélange convulsé de carmin commença à se filtrer à travers la plaque d’égout.
Dans l’obscurité des conduits souterrains les premières gouttes avaient attiré un bataillon de rats aveuglés qui cherchaient nourriture et refuge. L’horde irrépressible agita moustaches et queues à mesure qu’elle s’approchait de la source olfactive qui la guidait.  Ce qui s’échappa des mille langues bavantes dissolues arriva jusqu’au circuit de canalisation. Là, le plasma et les leucocytes s’entremêlèrent aux millions de larmes que d’habitude s’échappent chaque nuit par les orifices des salles de bains et des cuisines. Il y eut une étincelle, une brève reconnaissance du sang au contact de l’eau, peut être une sorte de mémoire capricieuse espérant unir les éléments de la mixture, ou serait-ce seulement l’obscurité familière de l’égout éclaboussée par les reflets de l’orage électrique qui arrivât à se filtrer à travers les plaques d’égouts. Mais le torrent de l’écoulement ne donna guère davantage de temps au mélange qui continua sa constante avancée.
Du carmin initial  il ne restait que l’identité microscopique se dissimulant dans les veines les plus abjectes de la ville. A la hauteur d’un recoin central, la pluie déchargea sur les cours d’eaux souterrains un ramassis de papiers et des dizaines de mégots de cigarette. Durant un moment tout flotta dans un coin tel un groupe de naufragés résignés ; puis l’ensemble gagna de la vitesse et se dispersa. La moitié d’une photographie dépouillée que quelqu’un aurait abandonnée quelque part s’immergea, s’anéantit dans le flux agité pour danser son dernier pas de cygne mort. L’égout suivant, une lettre d’adieu se déplia telle un voile d’oubli  qui vomissait sa teinte délébile et torturée de nuages gris dans la tentative de corrompre les composants même du carmin primaire. Mais la persistance de l’eau, libre, telle le temps inclément, saisit tout sur son passage.
Le déchet termina son chemin imparable quelques kilomètres à l’est de la ville, où s’étend le trou occulte de la civilité, dont les effluves nauséabondes tout le monde ignore : ce fleuve ouvert, encore plus grand que la ville, qui accueille sans protester les miasmes brassés de ses habitants anonymes.
Il ne remarqua pas que ce que le versant apportait juste sous ses pieds, l’unissait avec le corps qui, par sa faute, gisait inerte à côté d’un égout perdu près de la rive. Il ne pouvait pas l’imaginer dans ces moments, dressé au bord de l’égout, ni même ne pouvait se permettre de vivre pour y tenter. Il avait déjà tiré par désespoir amoureux, et pour les mêmes déraisons il allait maintenant le refaire.
La pluie tut le second bang précis de la nuit et accompagna le plongeon dans le fleuve. Puis l’univers termina de se mélanger dans ce lieu indifférent où l’eau rinçe et garde tous les secrets.
             Il s’arrêta de pleuvoir et le soleil se leva vers l’est.

Traduction : Aline Benchemhoun
Elementos básicos : ISBM 9789870243991