DIFFÉRENTIATION
TERTIAIRE
Eléments Fondamentaux – De la Terre
Alejandro Luque (2010)
Bien que la femme qu’il aimait le plus au monde
essayait de le consoler, Walter plongeait dans une dépression sans fin. En
moins d’un mois son pénis avait presque perdu deux centimètres au repos, et
plus de six durant les rares érections. L’urologue, l’oncologue et le
physiothérapeute l’inquiétèrent encore plus avec leurs gestes effrayants ;
ils proposaient des traitements hormonaux incompréhensibles et un implant
chirurgical en dernier recours. Lorsqu’ils décidèrent d’aller voir le
guérisseur de Sierra de la Ventana, les testicules de Walter s’étaient déjà
presque réabsorbés complètement au point que la poche scrotale, se repliant en deux
telle une huitre, recouvrait une excroissance de la taille d’une perle. Le
guérisseur enfuma la pièce et prépara un mélange d’herbes qui sentait mauvais. A
la fin de la session, la femme de Walter, Carmen, fut celle qui les ramassa
comme elle le fit avec son mari pour le ramener jusqu’à la voiture.
Walter essaya à deux reprises de se suicider. A la
troisième tentative, Carmen menaça de l’abandonner dans son agonie phallique
s’il continuait stupidement à réduire tout à la protubérance en voie
d’extinction. Pour la première fois durant des années, Walter se laissa guider
dans des actes sexuels dépourvus de pénétration et, ainsi, sans aucune
satisfaction propre. Le rôle de l’explorateur dura des mois, et l’angoisse
éclot un dimanche matin, lorsque Walter eut ses règles pour la première fois.
Il souffrit de maux de ventre, et ne put s’empêcher de se sentir sale, surtout
vulnérable et d’humeur noir. Au-delà de tout ça, il fallait qu’il coupe court
avec ce flux qui coulait partout sans pouvoir concrètement le contenir. Son corps
était celui qu’il ne voulait pas, et en plus, il faisait ce qu’il voulait. Il
était face au four et, tandis que de son entrejambe coulait une substance
visqueuse, il méditait sur le nombre de gazinières ouvertes qu’il serait
nécessaire d’avoir pour terminer avec ce supplice une bonne fois pour toute.
Mais Carmen arriva du travail et n’eut pas besoin de beaucoup de temps pour
réaliser ce qui était en train de se passer.
La session explicative de l’utilisation des
serviettes hygiéniques et des horribles tampons éveilla chez son mari des
nausées et des négociations véhémentes. Carmen ne se laissa pas surpasser par
les symptômes de peur qu’elle connaissait très bien. Elle se dit qu’elle ne se
transformerait pas en la mère de Walter, mais qu’elle ne laisserait pas cette
aberration de la nature lui arracher la personne qu’elle aimait le plus au
monde. Elle devint firme, comme toujours, et lui montra comment coller une
serviette hygiénique sur une culotte en coton. Son mari était nu face à elle
incapable de bouger. Il n’opposa pas de résistance lorsque Carmen lui glissa la
serviette entre les jambes et lui arrangea de la manière la plus stratégique
possible. Il n’y eut aucune exploration ni satisfaction cette nuit par respect
pour ce curieux syndrome du saigner en solitude. Ils ne dormirent pas non plus
bien, et ce fut à l’aube de cette nuit blanche que Carmen eut une idée pendant
le besoin insupportable de se caresser les lèvres sèches de son vagin. Elle
devait s’adapter.
Le vendredi suivant, lorsque la menstruation de
son mari était terminé, Carmen fit quelques courses dans le centre commercial,
elle commanda un repas indien bien épicé, alluma de l’encens et sélectionna une
série de CDs qu’ils aimaient tous les deux. Elle s’habilla avec peu de couleur
et ne se maquilla pas. Lorsque Walter arriva accablé du médecin, elle l’invita
à s’assoir à table, elle remplit les verres d’un bon Bordeaux tandis qu’elle
lui caressait les cheveux, elle lui demanda de servir le tandoori et le riz et proposa de porter un toast pour les deux. Il
accepta sans comprendre. Ils parlèrent de la peur du changement, du malaise, de
la culpabilité et du futur qu’ils allaient vivre ensemble. Avant que son mari
se noie dans l’auto-compassion, Carmen s’approcha, le prit dans ses bras et l’embrassa avec toute ce côté féminin
qui la transformait en quelqu’un irremplaçable et extraordinaire aux yeux de Walter.
Dans la chambre, Carmen enfila une ceinture avec un pénis en latex. Elle
défleurit la perle caché de son mari et lui fit l’amour, les deux en avaient
besoin. La tête peut être un obstacle important, mais les corps communiquent
avec un langage particulier. Carmen lui donna de l’amour. Walter ne put rien
faire d’autre que recevoir. Ils jouirent plusieurs fois, jusqu’à s’endormir.
Au matin Walter se réveilla avant Carmen et se dépêcha
pour préparer le petit déjeuner. Tandis qu’il se lavait les dents, il constata
que ses seins étaient turgescents. Il eut peur mais lui vint un sourire. Il
arriva avec un plateau dans la chambre. Sa femme était éveillée regardant
quelque chose sous le drap, puis elle sourit également en le voyant venir.
Walter était beau et Carmen se sentait en pleine forme. Elle se libéra du
ceinturon qui la gênait depuis pas mal de temps, elle prit la main de Walter et
l’amena à ses parties intimes. Au début il sentit un certain dégoût. Mais ce
fut un acte de conscience physique entre ses jambes et son cœur ce qui lui
permit d’accepter chez sa compagne ce qu’il avait perdu. Après des retrouvailles d’amour un peu
compliquées au début du processus de différentiation ils arrivèrent à la
conclusion que bientôt ils seraient prêts à avoir un enfant.
« Fille », dit Carmen, « fils », répondit Walter. « Je
t’aime », se dirent-ils, puis ils prirent leur petit-déjeuner.