8 de agosto de 2012

Dilués


DILUÉS
Eléments Fondamentaux - De l'Eau
Alejandro Luque (2010)

La première pluie torrentielle de juin s’était déchargée sur la ville, et dans cette impasse perdue près de la rive, personne n’entendit le coup de feu ni le cri de douleur.
Ses yeux s’ouvrirent d’abord dans l’immensité de l’aube avec un étonnement néanmoins attendu. Puis ils sortirent de leur orbite en cherchant un brin de lueur. Des pieds improvisèrent une course écervelée que le rideau d’eau engloutit quelques mètres après. Les mains tentèrent en vain de soutenir le ventre violenté pendant que le corps s’effondrait juste à côté de l’égout. Il n’y eut pas le temps de l’interroger que son regard se figea pour toujours. Comme un lavage inclément et incontrôlable, le sang qui jaillissait de l’orifice mortel de la blessure se dilua avec l’eau, et le mélange convulsé de carmin commença à se filtrer à travers la plaque d’égout.
Dans l’obscurité des conduits souterrains les premières gouttes avaient attiré un bataillon de rats aveuglés qui cherchaient nourriture et refuge. L’horde irrépressible agita moustaches et queues à mesure qu’elle s’approchait de la source olfactive qui la guidait.  Ce qui s’échappa des mille langues bavantes dissolues arriva jusqu’au circuit de canalisation. Là, le plasma et les leucocytes s’entremêlèrent aux millions de larmes que d’habitude s’échappent chaque nuit par les orifices des salles de bains et des cuisines. Il y eut une étincelle, une brève reconnaissance du sang au contact de l’eau, peut être une sorte de mémoire capricieuse espérant unir les éléments de la mixture, ou serait-ce seulement l’obscurité familière de l’égout éclaboussée par les reflets de l’orage électrique qui arrivât à se filtrer à travers les plaques d’égouts. Mais le torrent de l’écoulement ne donna guère davantage de temps au mélange qui continua sa constante avancée.
Du carmin initial  il ne restait que l’identité microscopique se dissimulant dans les veines les plus abjectes de la ville. A la hauteur d’un recoin central, la pluie déchargea sur les cours d’eaux souterrains un ramassis de papiers et des dizaines de mégots de cigarette. Durant un moment tout flotta dans un coin tel un groupe de naufragés résignés ; puis l’ensemble gagna de la vitesse et se dispersa. La moitié d’une photographie dépouillée que quelqu’un aurait abandonnée quelque part s’immergea, s’anéantit dans le flux agité pour danser son dernier pas de cygne mort. L’égout suivant, une lettre d’adieu se déplia telle un voile d’oubli  qui vomissait sa teinte délébile et torturée de nuages gris dans la tentative de corrompre les composants même du carmin primaire. Mais la persistance de l’eau, libre, telle le temps inclément, saisit tout sur son passage.
Le déchet termina son chemin imparable quelques kilomètres à l’est de la ville, où s’étend le trou occulte de la civilité, dont les effluves nauséabondes tout le monde ignore : ce fleuve ouvert, encore plus grand que la ville, qui accueille sans protester les miasmes brassés de ses habitants anonymes.
Il ne remarqua pas que ce que le versant apportait juste sous ses pieds, l’unissait avec le corps qui, par sa faute, gisait inerte à côté d’un égout perdu près de la rive. Il ne pouvait pas l’imaginer dans ces moments, dressé au bord de l’égout, ni même ne pouvait se permettre de vivre pour y tenter. Il avait déjà tiré par désespoir amoureux, et pour les mêmes déraisons il allait maintenant le refaire.
La pluie tut le second bang précis de la nuit et accompagna le plongeon dans le fleuve. Puis l’univers termina de se mélanger dans ce lieu indifférent où l’eau rinçe et garde tous les secrets.
             Il s’arrêta de pleuvoir et le soleil se leva vers l’est.

Traduction : Aline Benchemhoun
Elementos básicos : ISBM 9789870243991

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